future comes one day at a time, except this time (event)

Kaïden ouvrit lentement les yeux, pris dans une brume confuse. Tout son corps lui semblait étranger. Une étrange lourdeur le clouait au sol tandis qu'il essayait de remettre de l'ordre dans ses pensées. Où avait-il atterri ? Un frisson le parcourut alors qu'il s'assit par terre, examinant ses mains. Il y avait quelque chose de profondément troublant dans ce corps, comme si l'âme qui l'animait n'avait pas encore tout à fait accepté cette nouvelle réalité.

La pièce autour de lui n'était pas celle qu'il connaissait. Un appartement luxueux, raffiné, bien trop calme pour un endroit où se trouvait apparemment sa cible. Son cœur battait la chamade alors qu'il scrutait l'endroit, cherchant un indice, un repère, quelque chose. Sur la table basse en verre, un téléphone vibra légèrement. Le sien à l'évidence puisque son emprunte suffit à le déverrouiller. Sa main trembla en le prenant, comme si le simple objet détenait la clé de ce mystère. Il déverrouilla l'écran, découvrant ce mystérieux message.

« Rendez-vous ce soir à 20h. Appartement terrasse, centre-ville. » Le tout était suivi de l'adresse exacte mais le destinataire était inconnu. Kaïden haussa un sourcil. Qu'est-ce que tout cela signifiait ? La formule était censé le mener à l'endroit où se trouvait le démon qui voulait lui faire la peau, rien de plus. Se pouvait-il qu'il se trouve à cette fameuse adresse ? Un détail en particulier lui provoqua un haut le cœur : la date affichée sur son téléphone et qui indiquait septembre 2039. Sa formule ne l'avait pas seulement transportée à travers l'espace, elle l'avait déplacé à travers le temps.

Il se mordit la lèvre, le regard perdu dans le vide. Comment en était-il arrivé là ? Et surtout, qui pouvait bien vouloir le rencontrer dans cette version du futur où tout semblait hors de contrôle ? Son esprit, embrouillé par les fragments de mémoire qui lui manquaient, tentait désespérément de rassembler les pièces du puzzle.

Il se leva, chaque mouvement semblant plus pesant, moins fluide pendant un instant, comme si son corps ne lui appartenait plus réellement. Il s'approcha d'un miroir près du lit et fit face à son reflet. C'était bel et bien lui mais son visage avait quelque chose de différent, il semblait plus dur, plus sombre encore, comme si le monde avait continué à lui arracher des morceaux de lui-même, sans jamais lui permettre de les récupérer. Son immortalité, elle, avait bien fais son effet puisqu'il avait toujours la même apparence même quinze ans dans le futur. Une chance.

Puis, quelque chose d'encore plus inattendu le frappa. Un rire cristallin provenant de la pièce voisine. Une voix d'enfant, joyeuse et pleine de vie, qui s'élevait dans l'air.

« Papa ! »

Le choc fut immédiat, comme une claque glacée en plein visage. Un enfant ? Son cœur rata un battement alors qu'il entendait des pas se rapprocher. Un fils. Un fils qui l'appelait papa… et, à cette pensée, une vague de panique l'envahit. Son regard se durcit alors qu'il se redressait. Il n'était pas prêt pour ça. Pas encore. Jamais.

Où était Alastair ? Et pourquoi ressentait-il ce vide, cette trahison cuisante, comme si une partie de son âme avait été arrachée ? Ce futur semblait être un cauchemar distordu où toutes ses certitudes s'étaient effondrées. Il serra le poing et prit son courage à deux mains avant de sortir de la pièce. Le marmot lui sauta dans les bras et après un bref contact, Kaïden l'éloigna de lui pour l'examiner en profondeur. Aucun doute, il reconnaissant dans ces traits, certain des siens et d'autres appartenant à Alastair, comme si l'enfant était leur fils biologique. C'était incompréhensible, à moins que la magie n'ait joué un rôle là dedans. « Où est ton autre père ? » lui demanda-t-il, froid comme tout sans oser le regarder dans les yeux par peur d'affronter ce mini-lui qui lui faisait face.

Avant que le petit n'ait le temps de lui répondre, Alastair vint déposer un baiser sur ses lèvres pour lui dire bonjour, un tablier de cuisine recouvrant son torse nu et une spatule à la main.

« J'ai fais des gaufres et je t'ai préparé un café. » lui dit-il en le guidant jusqu'à la cuisine.

Son futur lui semblait vivre une petite vie banale et tout ce qu'il y a de plus heureuse mais cette image lui provoqua un haut le cœur. Comment sa vie avait-elle pu changer autant en l'espace de quinze ans ? Alastair n'avait plus rien du démon dont il était tombé amoureux. Depuis quand est-ce qu'il jouait les pères modèles et préparait des gaufres ? Kaïden n'avait pas seulement atterri dans le futur. C'était son propre enfer personnel. Tout ce qu'il répugnait réuni dans un même endroit : la banalité d'un quotidien mortel, ennuyeux. Un homme au foyer pour amant et un enfant.

Il s'assit sur l'un des tabourets du bar et son fils lui montra un dessin le représentant lui, Kaïden et deux autres hommes qu'il avait dessiné à l'identique. « Tu as encore des progrès à faire mais on aura le temps d'améliorer tout ça. Il faut croire que tu n'as pas hérité du talent de ta grand mère pour le dessin. » admit-il sans aucun tact en voyant la fierté du petit s'envoler en un instant. Alastair lui jeta un regard noir et il comprit immédiatement. « Mais c'est très beau, merci ! » se reprit-il en prenant la feuille entre ses mains, ne pensant pourtant pas un mot de ce qu'il venait de dire.

Il attendit que le petit s'en aille et prit une gorgée de son café, perdu dans ses propres pensées avec pour seul désir de rentrer rapidement à son époque.

« T'aurais pu te montrer un peu plus gentil avec Alden, tu sais que c'est pas facile pour lui d'avoir ses deux pères dans deux camps différents. »

Kaï manqua de recracher son café. « Alden, vraiment ? On était bourré quand on lui a donné ce nom ? » demanda-t-il en riant, constant qu'il s'agissant d'une contraction de leur propre prénom. Son attention se reporta pourtant bien vite sur la seconde partie de sa phrase. « Et comment ça, dans deux camps différents ? »

« T'es sûr que ça va ? T'as l'air très bizarre aujourd'hui. »

« Moi je suis bizarre ? Tu t'es vu avec ton tablier à jouer les papa parfaits ? Merde mais qu'est-ce qui a bien pu t'arriver ?! » Il se leva de son tabouret avant de partir dans la pièce voisine, un immense salon avec une vue panoramique sur la ville de San Francisco au loin. Alastair le suivit. « Bon, ça va te sembler bizarre mais j'arrive du passé. De 2024 exactement alors dis moi très clairement tout ce qui m'est arrivé pendant quinze ans. » lui ordonna-t-il. S'il s'agissait d'Alastair, il était inutile de faire semblant plus longtemps, autant obtenir les réponses qu'il attendait directement. « La version courte ou la version longue ? » lui demanda-t-il en s'approchant d'avantage. « La version courte bordel ! » s'impatienta l'hybride. « Tu t'es marié avec Alastair en enfer, vous avez conçu Alden ensemble grâce à la magie, tu as voulu devenir un exemple et un bon père pour lui alors t'as fini par lâcher le mal et reprendre ton rôle d'être de lumière et après avoir fais tes preuves, les Fondateurs ont fais de toi l'un des leurs. Alastair n'a pas supporté ton changement et vous vous êtes séparés, à la suite de quoi, n'arrivant pas à t'en remettre tu m'as créé. »

Sa tête tourna sous toutes ses informations et il faillit tomber à la renverse, se rattrapant contre le canapé. « Ca va tu tiens le coup ? » Kaïden tendit la main dans sa direction pour l'empêcher d'approcher. « Ta gueule, évidement que non ! » Sa main contre son cœur qui battait la chamade, il se concentra pour reprendre ses esprits, inspirant profondément en regardant cet homme qui se tenait là devant lui mais qui n'avait d'Alastair que l'apparence apparemment. Son futur lui était-il devenu complètement cinglé au point de se créer un amant tout ça parce qu'il n'arrivait pas à se faire à sa rupture avec le démon ? « J'ai besoin d'un moment, laisse-moi. » lui ordonna-t-il en s'écroulant sur le divan en cuir face à la grand télévision allumée qui diffusait un reportage en direct du vatican.

Kaïden savait ce qu'il devait faire. Le SMS le guidait, certes, mais il ne comptait pas jouer le rôle de la victime. Il allait d'abord trouver les réponses qu'il cherchait. Retrouver Alastair. Découvrir pourquoi et comment il avait quitté son rôle de Source et, surtout, comment ils avaient conçu un enfant ensemble. Une seule chose était claire dans son esprit : il n'était plus la même personne qu'avant, mais il n'allait pas se laisser manipuler par ce futur imposé.

Il avait encore quelques heures devant lui et il comptait bien reprendre le contrôle de son destin avant de se rendre à ce rendez-vous mystère.

Lorsque ses paupières s'étaient laborieusement entrouvertes sur ses yeux en amande, Masaru avait eu besoin de quelques minutes pour remettre de l'ordre dans ses idées.

Sa vision était floue et ses membres engourdis, comme s'il avait été exposé à une drogue puissante pourtant, il ressentait une sensation de bien être étrange.

Il avait chaud, confortablement étendu sur un matelas épais et la douce l'étreinte qu'il ressentait dans son dos...

... l'avait poussé à se redresser brutalement.

- ... Alice??

Il avait eu bien de la peine à cacher son trouble en découvrant son élève, encore à demi-endormie, allongée à l'endroit qu'il venait de quitter.

Comment s'étaient-ils retrouvés à dormir dans le même lit, à plus forte raison lui torse nu et elle suffisamment dénudée pour le pousser à détourner le regard ?!

Son katana n'était pas à sa ceinture, ni nulle part dans son champ de vision. Il était d'ailleurs totalement désarmé, ce qui l'avait poussé à se ramasser sur lui même en position de garde à la recherche d'un assaillant potentiel.

A bien y réfléchir, la demie-nymphe semblait quelque peu différente de d'habitude. Plus mature, peut-être, comme si...

Ses doigts s'étaient rapidement emparés de son téléphone, posé sur la table de nuit. Un message succint y était affiché : « Rendez-vous ce soir à 20h. Appartement terrasse, centre-ville. » 

Personne n'avait signé, évidemment, mais ce qui l'avait le plus inquiété avait été la date qui s'affichait sur l'écran... Septembre 2039...

C'était quinze ans de trop, quinze ans qui s'étaient écoulés sans qu'il les voit passer... Alice avait-elle une explication ?

- Savez vous ce qu'il s'est il passé ?

Agissant toujours comme un animal pris au piège, il s'était rapproché de la fenêtre pour jeter un oeil à l'extérieur de la maison dans laquelle il se trouvait.

Le Golden Gate était visible au loin, signe qu'ils se trouvaient toujours à San Francisco mais la situation n'en était pas moins critique.

La brune était-elle seulement toujours une alliée, dans cette réalité ??

Avant qu'il ait pu le découvrir, des bruits de lutte lointains avaient attiré son attention.

Ils n'étaient pas seuls...

N'ayant rien d'autre sous la main, il s'était emparé d'un bibelot suffisamment lourd pour assommer quelqu'un avant d'aller se poster vers la porte et de l'ouvrir délicatement pour éviter de la faire grincer

Il avait toujours préféré prendre les devants plutôt que se faire surprendre et cette fois ne faisait pas exception à la règle.

La demeure dans laquelle il progressait était vaste et, malgré le fait qu'il n'y ait jamais mis les pieds, il la trouvait étrangement familière.

Une végétation omniprésente... Couplée à un système de sécurité qui semblait exemplaire...

Une pensée absurde venait de lui traverser l'esprit lorsqu'une voix haut perchée était de nouveau venue troubler le silence environnant :

Gamine : DONNE !!

Gamin : Laisses moi tranquille ou je dirai à maman que tu as joué avec !!

Gamine : C'est TOI qui est rentré dans le bureau de papa en premier !!

Quelques secondes plus tard, il découvrait deux jeunes enfants occupés à se chamailler pour s'emparer de son katana. Deux jeunes enfants qui portaient la même marque que lui, sur leurs poignets.

Deux jeunes enfants dont une fillette d'environ huit ans qui lui avait fait perdre son habituelle expression neutre en s'alliant soudainement avec son frère pour dissimuler maladroitement l'arme dans leurs dos avant de s'adresser à lui dans un japonais étonnamment bien maîtrisé :

Gamine : Pardon de vous avoir réveillés, papa.

Papa ??

Presque instinctivement, il s'était retourné vers Alice pour interroger ses réactions...

La chaleur est douce, agréable, malgré le flou qui semble anesthésier ses pensées. Il lui faut quelques secondes pour réaliser que ses bras enlacent quelque chose. Ou quelqu'un. Un quelqu'un qui quitte précipitamment le lit, la forçant à se redresser brusquement. “Masaru… ?! Qu’est-ce que… ?!” peine-t-elle à articuler, avant de détourner le regard en le voyant torse nu. Et avant de remonter précipitamment la couverture sur elle en découvrant la tenue qu’elle porte, bien trop légère pour être portée en compagnie du japonais.

Son cerveau a du mal à faire les calculs. Qu’est-ce qu’elle fait dans un lit avec Masaru ? Qu’est ce qui s’est passé la veille ? Est-ce qu'ils ont… ? La pensée la fait rougir brutalement, resserrer la couverture entre ses doigts. Jusqu'à ce qu’elle la remarque. La bague. Celle de sa grand-mère, joliment exposée à son annulaire gauche. Et Alice attrape son téléphone, perturbée par l'image que l'écran noir lui renvoie. Elle a vieillit, d’au moins une dizaine d’années. Et si elle devait en tirer des conclusions, elle dirait certainement que Masaru et elle sont bien plus liés que ce qu'ils pensent ; la bague, le lit, leurs tenues... Alors elle déverrouille l'écran. Voit d’abord le message qui lui fait froncer les sourcils ; « Rendez-vous ce soir à 20h. Appartement terrasse, centre-ville. ».

“Je ne comprends pas non plus… Vous aussi, vous avez reçu un sms ?” demande-t-elle en désignant le téléphone. Puis elle voit la date, qui la perturbe déjà en soit. 2039. Elle lève le regard brièvement sur le Phénix, cherche sur son visage une explication qu’elle ne trouve pas. Et rebaisse les yeux sur l’écran du téléphone qu’elle tient toujours dans sa main. Le fond d’écran, c’est ce qui fini de l’achever. Une photo de famille. Elle, si souriante et solaire, aux côtés de Masaru… et de deux enfants dont les traits asiatiques ne laissent pas de place au doute quant à leur filiation. Pas plus que les légères boucles dans leurs cheveux ébènes qu’Alice avait à l’identique à leurs âges.

“Maze… Je crois que…” Sa phrase meurt aussitôt en entendant des bruits de lutte. Elle sent son cœur s'accélérer et attrape un peignoir - dont l’emplacement semble instinctif pour elle - avant de suivre le japonais. Pour Alice, les pièces du puzzle semblent se mettre plus rapidement en place que pour Masaru. Bien plus rapidement, à en croire le sourire légèrement attendri qui s’installe sur son visage devant la scène qui se joue finalement devant eux. Deux enfants qui se chamaillent à propos du katana de Masaru. Les deux mêmes enfants que ceux de son fond d'écran.

“Je crois que... Hm… Ce sont nos... enfants ?” glisse la brune face au regard perdu du japonais, sans réussir à totalement réaliser ce qu'elle dit, le regard rivé sur les deux enfants sans pouvoir le détourner. Si elle a l’air calme en apparence, son cerveau bouillonne. Elle est sûre de sa conclusion, pourtant. À cause du fond d'écran. Elle ne mettrait que sa famille en fond d'écran. Et c’est pour ça qu’elle attrape le téléphone au fond de sa poche, le déverrouille et montre la fameuse photo au japonais en lui donnant l’objet pour qu’il voit par lui-même. Puis, finalement, elle reporte son attention sur les enfants eux-mêmes.

“Bonjour ? On est... On est perdus. Est ce que vous pouvez nous aider ?” lance-t-elle doucement en leur direction. Avant d’esquiver une boule d'énergie fulgurante au dernier moment, qui vient s'écraser contre le mur derrière elle. La petite fille n’a plus son air coupable qui rappelle celui d’Alice. Il émane d’elle une aura particulière. Puissante. Elle a le visage déterminé, son petit frère légèrement derrière elle. Mais loin de se cacher derrière sa sœur, le petit frère en question lance rapidement une nuée d’épines en direction de Masaru ; une variété qu’Alice n’a aucun mal à identifier comme étant létales à cause de leur poison. Épines qui finissent leurs courses dans un épais mur végétal que la demi-nymphe dresse devant le japonais, avec une telle puissance que l’apparition fait trembler le sol. Les enfants n’attaquent pas pour intimider. Ils attaquent pour tuer et il est évident qu'ils ont un vrai entraînement - ce qui justifie le regard de reproche qu'Alice lance au japonais à cette seconde très précise.

“Vous n'êtes pas nos parents. Ils n'auraient pas réagit comme ça !” lance la petite fille. “Qui êtes-vous ? Où sont-ils ?!”

Toujours cachés par le mur végétal - bien plus imposant que ce qu’elle aurait pu créer normalement - Alice lance un regard à Masaru. “Comment on raisonne des Phénix ?” fini-t-elle par demander, à voix basse. Elle n’a pas vraiment le temps de réaliser qu’elle a des enfants, encore moins des enfants avec Masaru, que ces derniers leur prouvent qu’ils ont en tout cas la combativité et la perspicacité du japonais. Elle ne voit pas venir la suite, le petit qui se téléporte dans son dos et qui entrave ses mains avec des ronces, lui arrachant un cri de douleur avant de lancer un “Vas-y, Hana ! Comme Papa nous a appris !” qui prouve bien qu’ils sont loin de se laisser impressionnés par une situation de danger.

Et si Alice n’avait pas dix mille questions et ne sentait pas les épines se planter dans sa chaire, elle serait rassurée que ses enfants soient capables de faire preuve d’autant de sang-froid. Même si ça signifie être en position très délicate

“Ne leur faites pas de mal… Je ne vous le pardonnerai pas.” lance Alice à Masaru, conscience qu’il lui serait facile de les maîtriser tous les deux en quelques secondes. Et alors qu'elle parle, elle sent l’étreinte des ronces se desserrer légèrement, comme si le petit garçon réagissait aux mots prononcés par la demi-nymphe. “C’est à nous de prouver que nous ne sommes pas leurs ennemis… Et ils pourraient peut-être nous aider à comprendre.” Et puis, elle ne peut pas mentir ; elle sent ce lien viscéral qui l’attache à ces deux enfants. Ce petit quelque chose d’instinctif. Ce sentiment que seule une mère peut avoir envers sa propre progéniture. Et elle espère qu’ils le sentiront, eux aussi. Alors elle serre les dents face à la douleur, consciente qu’il faudra bien trouver une solution pour se sortir de ce quiproquos.

« Je crois que ce sont nos enfants » Les mots qu’Alice avait prononcés avaient mis du temps à se frayer un chemin jusqu’à sa conscience. Le phoenix n’y avait toujours pas mis de sens lorsqu’elle lui avait mis le fond d’écran de son téléphone portable sous les yeux, une photo les représentant tous ensemble dans une posture joyeuse.

Le sourire et l’air décontracté qui s’affichaient sur son visage ne lui étaient pas familiers pourtant, il devenait de plus en plus compliqué de nier l’évidence.

Les deux enfants qui lui faisaient face lui ressemblaient avec leurs marques, leurs cheveux noirs et leurs yeux légèrement en amande. La fillette arborait même un grain de beauté similaire au sien, sur la pommette droite…

Leurs lèvres, le teint de leurs peaux et l’expression qu’ils affichaient lorsqu’ils les avaient rejoints, eux, étaient définitivement similaires à ceux de la demie-nymphe…

Comment ? Était-il réellement parvenu à baisser sa garde et à dépasser sa crainte des conséquences des sentiments amoureux ?

Et elle ? Pourquoi s’être entichée d’un être si différent d’elle, douce rêveuse au sens moral irréprochable ?

Les réponses devraient attendre car, très vite, leurs petites répliques étaient devenues menaçantes. Elles avaient compris sans mal qu’elles n’avaient pas réellement affaire à leurs parents et leur réponse avait été à la hauteur de la menace qu’elles pensaient avoir à affronter.

Hum… voilà enfin quelque chose qui lui ressemblait. S’il avait eu une progéniture, il était certain qu’il se serait assuré qu’elle puisse s’en sortir sans lui en cas de besoin.

Le premier sentiment qui l’avait traversé avait été une étrange fierté, même lorsqu’il avait été la cible d’un jet de longues épines venimeuses, mais il avait rapidement froncé les sourcils lorsque son fils présumé s’en était pris à Alice.

Fidèle à elle-même, cette dernière lui avait demandé de ne pas s’en prendre aux jeunes malgré leurs réactions violentes mais la lueur qui se reflétait dans le regard d’Hana ne laissait pas de doute quant à ses intentions. Elle ne baisserait pas les armes, pas avant d’avoir eu la preuve qu’elle pouvait leur faire confiance.

- Vous avez raison, nous ne sommes pas vos parents. Pas la version que vous connaissez d’eux, en tous cas, mais nous sommes les mêmes personnes.

Sans surprise, la petite avait fait quelques pas vers lui, lame pointée dans sa direction.

Hana : Prouve le… affronte moi et gagne.

Le japonais avait désigné la sorcière d’un petit signe de la tête :

- Ne l’as-tu pas entendue ? Elle m’a interdit de vous blesser.

Hana : Elle le sera elle, si tu ne me convaincs pas.

Le mouvement qu’elle avait esquissé vers Alice avait été rapide mais il l’avait arrêté sans mal en la bloquant avec une chaise et en la repoussant fermement vers l’arrière.

S’en était suivi un rapide affrontement que, malgré son niveau plus que satisfaisant pour son jeune âge, Masaru avait gagné haut la main contre sa fille.

La pointe de sa lame avait légèrement entaillé la base de son cou alors qu’il la tenait en joug, attendant d’être certain qu’elle n’avait plus l’intention de se montrer agressive avec eux.

Hana : C’est bon, je vous crois…

Sans qu’il comprenne réellement l’origine de ce phénomène, le japonais avait senti un petit sourire étirer ses lèvres alors qu’il lui tendait la main pour l’aider à se relever.

-(en japonais) Tu diras à ton père qu’il a été un bon professeur. Mais penses à corriger ta garde, elle…

Hana(en japonais) : … elle est trop basse. Je sais, il me le dit tout le temps…

A son tour, la gamine avait souri, scellant définitivement l’armistice entre eux.

Puisque le garçon avait également relâché son emprise sur Alice, il avait directement enchaîné avec une question pratique :

- Vos parents ont-ils des ennemis connus, dans votre présent ? Nous avons besoin de savoir qui nous a envoyé ici et pourquoi.

Les premières secondes s’écoulent comme une éternité, comme dans un rêve duquel le subconscient vous garde prisonnier. L’éclat du soleil lui brûle la rétine tandis que le tintement des cloches fait écho dans son crâne. Les cardinaux encensent la Place Saint Pierre, à Rome, tandis que Alastair se tient solennellement les mains jointes. Les forces de l'ordre font barrage avec la foule de fidèles, des caméras retransmettent l'événement religieux en direct et des prières en latin sont formulées par une quasi chorale. Mais quelque chose cloche.
Qu’est-ce qu’il fait là ?
Il a en horreur les lieux saints, et il se tient dans l’enceinte du Vatican. Il réalise alors que certains crient son nom et celui de la Veuve Écarlate, sa mère et démone régente d’une contrée reculée et oubliée de l’Enfer. Il pense rêver, se concentre pour plier son mental et forcer le réveil, mais rien ne se passe. Pas comme il l’aurait désiré en tout cas. Il n’a pas conscience que dans ce futur là, où la magie a été révélée, l’influence de la Veuve a terminé d’atteindre l’humanité jusqu’à se faire une place de choix.
Il en vient à esquisser un rictus.
C’est Cora, celle qu’il connait comme la femme de ménage et blanchisseuse du Montrouge, quiattire son attention en agitant ses mains. L’hybride se retire de la scène qu’il occupe pour rejoindre celle qui se révèle être son assistante, en proie au stress, à la dévotion et à la cocaïne pour pallier ce premier maux. Alastair reste silencieux en assimilant la marée de paroles: des rendez-vous, des apparitions sur des plateaux télé, le tournage d’une publicité… et un curieux sms invitant Alastair à San Francisco. Il ignorait s’il était la proie d’un piège mental, d’une simulation ou d’un escape game quelconque, et dévisagea la blonde d’un air inquisiteur avant de ricaner: ne prenant pas vraiment tout ce qui était en train de se dérouler pour la réalité. Il s’empara finalement de son téléphone pour lire le sms, qui avait de quoi surgir d’un thriller datant de l’aube des années 2000. Les Diacres et le reste du Vatican continuent leur procession, appliquant sur le front des fidèles une marque sanguinolente en appuyant avec leur pouce éternellement sanglant sur le front de chaque citoyens de Rome et d’ailleurs. Si tout cela pouvait le réjouir, quelque chose laissait en lui une impression des plus amères: l’absence de Kaïden.
Dans sa toge écarlate, il a du mal à saisir l’ampleur de ce futur et c’est en attrapant son téléphone tendu par la blonde que Alastair remarque la date et assimile l'éventualité d’un bond dans le futur.
Il avait toujours redouté et évité Vesna de part sa connaissance de ce qui était à venir, craignant qu’une autre âme que lui puisse savoir et au-delà de ça: que son avenir soit déjà écrit. Il tenait à demeurer maître de son futur, mais se retrouvait dans une situation où son passé et futur lui avaient été dérobés.

Il a envie de se téléporter, de retrouver son Roi, mais c’est le Pape en personne qui apparaît, saluant modestement la foule, pour continuer d’encenser la foule d’une ferveur insidieuse: Alastair en ressentait les effets et pouvait s’abandonner à une euphorie totale, réalisant alors que ses travers humains qu’il pouvait ressentir dans son présent d’origine son presque éteints.
Il a néanmoins ramené avec lui dans ce futur son amour à l’égard de Kaïden.
Le Pape prêche la Grande Révélation, la Veuve et les Fidèles tandis qu’Alastair s’impatiente, avant d’être invité par le Pape pour entamer un champ honorifique. Une chanson que Alastair ne connaît que trop bien. Se montrer à découvert de la sorte le rend perplexe mais il ne montre rien, surtout pas face aux caméras qui le fixent. Il remonte sur cette scène, levant la main et baissant l’échine à une foule sous son charme, avant que son regard sombre ne fixe la caméra face à lui.
Un silence vient s’abattre sur la foule lorsque Alastair vient user de sa voix grave pour entamer une chanson dans une langue démoniaque. Ses cordes vibrantes et l’écho de sa voix recouvrant chaque individu, ses yeux demeurant fixes il chante les louanges de sa Mère tout en priant pour la Source.

La litanie achevée, Alastair peut enfin se retirer, envoie littéralement chier le Pape lorsque ce dernier vient à son devant. Alastair s’exile, vagabonde dans un lieu qu’il a toujours évité. Le grand amateur d’art qu’il est ne prend même pas la peine d’admirer les peintures et les sculptures, son ego du passé n’étant pas encore tout à fait apte à supporter la sainteté de ce sanctuaire malgré le rôle que son futur lui occupe. Il récupère à nouveau téléphone pour lire avec un peu plus d’attention cet étrange message; avant de trouver sa conversation avec Kaïden.
Une photo de son bien aimé, toujours aussi beau… avec un gamin. Il remonte les messages pour ne capter qu’une série de rendez-vous, de marchandage, de désaccords… et c’est une rage qui vient bouillir en lui lorsque ses phalanges viennent fissurer l’écran de son cellulaire. Dans sa colère montante, c'est une série de ??? qu'il envoie à celui qu'il se refuse être Kaïden.

Serrant la mâchoire, il se téléporte dans une fumée rouge. Il réapparaît à San Francisco, à l’Asp Hole, apparaissant dans un costume cendré. Il remarque aussitôt l’absence du trône occupé par Kaïden en général. Il se rapproche du bar, s’empare du col du barman pour lui hurler dessus “OÙ EST KAÏDEN ?!” le démon semble perplexe un instant, et un silence insidieux vient posséder la totalité des clients lorsque Alastair vient recevoir un coup de tête qui le fait à peine chanceler “On emmerde ce traître !” vocifère le démon, avant que Alastair ne vienne perforer sa gorge d’une dague de sang.
Il contemple l’assemblée qui le dévisage, le souffle bruyant et les poings serrés sans que personne ne daigne s’en prendre à lui.