don't lost all faith ▬ nathaniel

Elle ne peut pas rester les bras croisés, à regarder le monde partir en cendres. Des heures, maintenant, qu'elle a le nez plongé dans de gros livres, à rechercher une solution, à tenter de comprendre le problème. Ces vagues de folie, plus encore ces vagues de suicide, ne peuvent être dues qu'à des phénomènes magiques. Elle en est convaincue, de la même façon qu'elle est convaincue que les catastrophes naturelles qui se multiplient à San Francisco n'ont absolument rien de naturelles, justement.

Personne ne pourra lui faire changer d'avis sur cette question, pas même son père qui continue de la supplier de ne pas se mêler de ça. Autant lui demander d'arrêter de respirer ; ils le savent tous les deux. Si Francesco Martinez a décidé de mettre à distance son héritage sorcier, c'est loin d'être le cas de sa fille. Elle s'y plonge même de plus en plus, poussée par ce besoin de maintenir l'équilibre entre le bien et le mal, de faire ce qu'elle considère être son devoir en protégeant les innocents. Presque une obsession, depuis son divorce. Sauf qu'elle ne trouve aucune piste viable. Rien qui arrive à la convaincre qu'elle est sur la bonne voie. L'appel de Mrs Anderson a mis le feu aux poudres, définitivement. Matthew Anderson, un client fidèle depuis l'ouverture du magasin, un mortel sur lequel Alice garde un œil bienveillant, présente les signes de folie qui semblent agiter la population de San Francisco. Sa femme était inquiète, démunie, face à tout ça. Et Alice ne peut pas ignorer le fait qu'elle se soit tournée vers elle. Parce qu'elle doit forcément faire quelque chose, maintenant. Trouver une solution. Sauver cet homme d'un mal dont elle ignore presque tout.

L'hybride referme un peu brutalement le gros volume consacré aux plantes apaisantes, frustrée de n'y trouver que des informations qu'elle connait déjà. Rien qui soit suffisamment concluant pour illuminer son visage. Elle a l'impression que le temps joue contre elle. La peur au ventre que Mrs Anderson fasse de nouveau sonner le téléphone pour des nouvelles bien plus funestes que sa crainte de voir son mari perdre la tête. Elle n'y arrivera pas seule, elle le sait. Alors, la minute d'abattement passée, elle attrape son téléphone pour y pianoter un texto destiné à Nathaniel. Peut-être qu'il en saura plus qu'elle. Qu'il aura des solutions auxquelles elle-même n'a pas pensé.

« J'ai besoin de te voir. Dispo à 15h, à la boutique ? » Le message est bref, mais elle l'envoie tel quel, avant de poser son téléphone et de soupirer. Elle se sent dépassée, presque lasse. Inquiète, également, viscéralement.

Elle emporte avec elle tout ce qu'elle juge utile avant de se mettre en route pour retrouver le triton. Des ouvrages variés, des articles qui parlent des vagues de folie qui secouent la ville. Vilice est fermé, aujourd'hui, elle a donc bon espoir qu'ils puissent être tranquilles pour discuter de tout ça. Bon espoir, aussi, qu'ils puissent à eux deux trouver une solution. Quoi que ce soit qui puisse sauver Mr Anderson de ce qu'il traverse. Elle saute presque de sa chaise lorsqu'elle voit enfin la silhouette de l'antiquaire à travers la baie vitrée du magasin, pour aller déverrouiller la porte du magasin. Et venir se pelotonner contre lui, les paupières closes quelques secondes, rassurée de ne plus être seule. Une manière habituelle de dire bonjour, pour elle, mais qui trahit cette fois un besoin flagrant d'être rassurée.

« Merci d'être venu. Je suis désolée, je ne savais pas vraiment vers qui me tourner... Je suis inquiète, Nate. Ce qui se passe, en ce moment... Ça n'a rien de naturel. J'ai besoin de ton aide. » glisse-t-elle, tout en l'invitant à entrer dans le magasin et en verrouillant la porte derrière lui. « Est-ce que tu veux quelque chose à boire ? »

L'hybride essaie de se retenir de l'assaillir tout de suite d'informations. Mais il est évident qu'elle a besoin de partager le surplus qui commence à lui donner mal à la tête. Et sa bouche s'ouvre avant qu'elle n'ait pu vraiment le retenir. « Tu connais Mr Anderson ? La quarantaine, assez corpulent, toujours le sourire aux lèvres, qui parle tout le temps de ses enfant et qui vient au moins deux fois par semaine ? Sa femme vient de m'appeler. Elle me dit qu'il a perdu la tête, qu'il ne dort plus, qu'il commence à perdre la mémoire... Il n'a aucun problème de santé, tout au plus du diabète, mais aucun antécédents de problèmes mentaux. Et ça ressemble quand même beaucoup à d'autres cas... Regarde. »

Elle n'aura pas tenu très longtemps avant de poser sous le nez de Nathaniel plusieurs coupures de journaux, avant de planter son regard sur lui, presque dans l'attente d'un élément qui lui aurait échappé.

« Merci. »

Elle lui adresse un sourire, léger, presque timide. Mais elle est rassurée qu'il soit là. Rassurée de ne plus être seule face à ces événements dont elle n'arrive pas à trouver la cause. Des événements qui remuent la nature et qui, désormais, s'en prennent directement à des innocents.

Ne plus être seule face à ça l'apaise, d'une certaine manière. Vient l'alléger d'un poids qu'elle ne pensait pas si lourd avant de se mettre à le partager avec Nate. La demi-nymphe s’inquiète et il y a de quoi. Tout ce qui se passe est loin d'être anodin ; aucun être surnaturel ne pourrait le nier, même en essayant de se convaincre de l'inverse. Quelque chose se prépare, gronde dans les profondeurs de la planète. Reste à en connaître la cause et, plus important encore, le remède. Elle ne supporte pas de voir le monde souffrir comme il souffre, de savoir que des innocents agonisent sans que rien ne puisse être fait pour les en empêcher. Sa nature bénéfique accentue ce trait de sa personnalité ; Alice n'a jamais aimé la souffrance d'autrui, ne s'en est jamais réjouit. N'y trouve, finalement, qu'un profond désespoir. Vaincre des démons n'a jamais été la partie qu'elle préfère. Même eux ne méritent pas tant de souffrances, tant d'énergie passée à trouver un moyen de les anéantir. Pourtant, ce n'est pas un choix qui peut être fait ; épargner un démon, c'est prendre le risque de condamner des dizaines d'innocents.

Nate parvient à lui arracher un léger rire, alors qu'elle acquiesce. « Il y a quand même des boissons plus agréables que l'eau de mer. » arrive même-t-elle à plaisanter, oubliant presque pendant une seconde l'urgence qui l'a poussée à lui envoyer ce message. Une aubaine qu'il ait été à la surface pour le recevoir, car elle ne sait pas ce qu'elle aurait fait s'il ne lui avait pas répondu. Ses propres solutions tournent en rond et son angoisse ne fait que monter en flèche, occultant ses capacités de réflexions.

Alors elle entre dans le vif du sujet, directement. Mr Anderson et les signes de sa folie naissante. Son souffle paraît presque se bloquer alors que son regard se fige droit dans celui du triton. Sa main vient trouver celle de son ami, comme pour le soutenir dans cette perte qu'il décrit. « Je suis désolée, Nate... » souffle-t-elle. Perdre l'un des siens est la pire expérience possible. Elle serre un peu la main de l'homme, imprimant un soutien sans faille dans le creux de sa paume. Elle a du mal à déglutir, cependant. Si ce qu'il dit est arrivé alors... « Il ne reste pas longtemps à Mr Anderson... » ajoute-t-elle avant de fermer les yeux, comme si faire disparaître la réalité de ses prunelles pouvait changer quoi que ce soit à la situation. Juste le temps de prendre une profonde inspiration, de faire taire le tumulte de sa panique naissante. Ses paupières se rouvrent lorsque la voix de Nate résonne à nouveau et elle acquiesce distraitement. « A la surface aussi, les victimes entendent des cris, jusqu'à en devenir fous... C'est ce qui est en train d'arriver à Mr Anderson. »

Elle lâche finalement la main de son ami, pour se relever, faire les cent pas. Elle a besoin de rester en mouvement, alors qu'elle vient ronger l'ongle de son pouce sans trop s'en apercevoir, ne s'arrêtant que pour regarder Nate déverser le contenu de son sac sur la table. Parvenant tout de même à sourire légèrement en voyant la fourchette, sans faire de commentaire. « Il faut tenter. » affirme-t-elle, en attrapant machinalement quelques bocaux sur l'une de ses étagères, dont l'un remplis de ganodermes luisants ; des champignons particulièrement connus pour leurs propriétés apaisantes. « C'est déjà énorme, si on peut ralentir la progression de la maladie. Je peux ? » Elle tend la main, pour attraper l'algue. Il ne lui faut que quelques secondes pour en identifier les propriétés, comme un flash clair de tous ses usages possibles, avant de la reposer. « Ça peut marcher. Sur une sirène, assurément... Tu as pensé aux algues phosphorescentes, pour décupler le pouvoir de guérison ? Je crois qu'en les couplant avec les propriétés de cette algue dorée, ça pourrait faire gagner aux sirènes peut-être une journée supplémentaire. Ou, au moins, apaiser la souffrance physique de manière significative pendant quelques heures... »

Le service ne va pas que dans un seul sens. Pas du point de vue d'Alice, en tout cas. Et si elle peut aider le peuple des sirènes et à plus forte raison Nathaniel, elle n'a aucune hésitation à partager ses observations. « Pour un mortel, je crois... Oui, je pense qu'il faudrait ajouter une pincée de ganoderme et de la poudre de rose. Ça pourrait stabiliser l'ensemble et mieux s'adapter à la constitution d'un humain. » ajoute-t-elle, tout en se relevant pour aller chercher un mortier assez large et un pilon, s'afférant à la tâche presque immédiatement.

« Ce doit être grave si même toi, tu es impuissant... » dit-elle, tout en faisant de son mieux pour réduire en poudre la perle, le visage concentré sur sa tâche. « Aucune sirène n'est encore allée dans les abysses ? S'il s'agit d'un démon marin inconnu, j'ai peur que nos remèdes ne soient qu'un pansement sur une jambe de bois... » Elle soupire, donnant un coup plus violent contre la perle, comme si ça pouvait la soulager d'une manière ou d'une autre. « J'ai peur, Nate. Ça ne ressemble à rien de ce qui que ce soit connait. Je sens la Terre réagir de manière épidermique, comme si elle essayait de se défendre contre quelque chose... Ce n'est pas juste cette épidémie de folie, ça a l'air d'être tellement plus que ça. J'ai peur que ça finisse par dépasser absolument tout le monde. »

Peut-être est-elle un peu pessimiste, mais comment ne pas l'être lorsque le Roi des Sirènes lui-même avoue se trouver impuissant face à cette menace qui semble venir du fond des océans ?

« Les plantes, c'est un peu mon truc. » glisse-t-elle, un petit sourire malicieux collé aux lèvres pendant quelques secondes. Tout semble la relier à la flore, de sa nature de demi-nymphe aux pouvoirs personnels qu'elle a développé. Une communion avec la nature, un besoin de la ressentir ; c'est bien là son essence. Pas étonnant qu'elle se soit tournée vers l'herboristerie, passionnée qu'elle est par les trésors cachés au creux de la plus discrète des végétations.

Ses compétences lui valent d'être particulièrement douée en potions, à défaut de l'être en combat – la faute à des pouvoirs certes magnifiques mais finalement peu offensifs. Mais ça lui convient. Elle aime le fait d'avoir des dons plus défensifs que réellement destiné à l'attaque. Ça lui ressemble, fait écho à sa personnalité. Alice n'a jamais particulièrement aimé le combat, mais a toujours été douée pour rassurer les innocents, pour les protéger le temps de leur permettre de fuir. Les potions et les sorts faisant le reste, elle a cette tendance à vouloir éviter l'affrontement... même si les affrontements, eux, semblent vouloir la poursuivre depuis quelques semaines. « Je suis plus douée pour soigner et protéger que pour combattre... Heureusement que certains sont doués pour ça. » ajoute-t-elle, continuant de lui sourire malgré la situation.

Sourire. C'est probablement son arme la plus efficace pour faire face aux injustices du monde. Pour garder la tête hors de l'eau, pour continuer à trouver du sens à cet affrontement entre deux camps ancestraux et aux souffrances qui en découlent.

« C'est une excellente idée ! » approuve-t-elle face aux suggestions de son ami. Elle a encore beaucoup à apprendre des plantes marines, ne pense pas assez à les utiliser malgré tout leur potentiel. « En infusion, plus qu'en baume... Pour favoriser l’absorption par l'organisme. J'y ajouterai de la vanille. » Elle complète à voix haute les réflexions de Nathaniel, y ajoutant les siennes, tout en précisant ; « Pour le goût.Et parce que la vanille est un anxiolytique et un antidépresseur naturel. Rien de magique là-dedans, c'est de la pure herboristerie. »

Tout ne se règle pas avec la magie. Ça, Alice l'a apprit au fil de son expérience professionnelle. Parfois, il suffit juste d'écouter la nature, de savoir se coordonner avec elle pour y trouver des remèdes. Même si elle doute que ses plantes médicinales puissent à elles seules éradiquer un mal bien plus profond, bien plus intimidant. Un mal sournois et surnaturel que même la Terre elle-même semble ne pas supporter.

Son nez se froisse, doucement, alors que Nathaniel lui parle des abysses. De leur dangerosité. Si même les sirènes ne peuvent s'y aventurer, Alice ne peut qu'imaginer les horreurs que cachent les ténèbres des fonds marins. Un monde fascinant, a-t-elle toujours trouvé, entouré pourtant d'un mystère déstabilisant. Instinctivement, Alice vient mettre sa main sur celle de Nate, relevant les yeux vers lui en lui adressant un léger sourire. « Tu le penses vraiment ? » demande-t-elle. Loin de vouloir remettre en question son expérience ; après tout, ses trente ans d'existence ne sont pas grand chose face à la longue vie que Nathaniel a déjà vécu. Mais elle a besoin d'être rassurée. D'être certaine, en s'accrochant au regard du Roi des Sirènes, qu'une solution existe même si elle leur échappe encore.

Elle fini par se tourner complètement vers lui pour regarder l'urne, les sourcils très légèrement froncés. Les artefacts magiques sont la spécialité de l'homme, Alice a encore beaucoup à apprendre dans ce domaine... et elle ne se prive pas de l'interroger du regard alors qu'elle n'a strictement aucune idée de l'utilité de celui-ci. « Tu veux dire... séparer son âme de son corps pour la mettre à l'abri là-dedans ? » demande-t-elle, tout en désignant l'objet.

Elle garde un air interrogateur, laissant ses prunelles s'accrocher aux inscriptions présentes sur l'urne. Une solution radicale, oui. Mais quel autre choix ont-ils ? Elle fini par acquiescer, presque à contre-cœur. « Je crois qu'il faut tout essayer... Nous n'avons pas tellement le choix. D'après ce que tu me dis, le remède ne marchera qu'un temps limité, mais ensuite... » La gorge de la demi-nymphe se noue, la laissant incapable de poursuivre. Mais ce n'est pas nécessaire ; ils savent tous les deux où elle veut en venir. D'autant plus lorsque son sourire se fait plus triste. « Je ne prendrais pas le risque de me reposer uniquement sur une amulette. Pas sans savoir ce qu'est... cette chose, et sa puissance. »

Percevant le trouble du triton, Alice se relève pour venir l'enlacer, posant une main contre sa joue en lui souriant. « On trouvera une solution. Il en existe forcément une. » glisse-t-elle. « Ne perdons pas espoir... »

Elle ne fait pas durer l'étreinte très longtemps, se détachant de lui pour aller chercher de nouveaux bocaux qu'elle pose sur la table. La surface de cette dernière se remplit très rapidement de plantes diverses, couplées aux trouvailles de Nathaniel. Un véritable champ de bataille, à défaut de savoir laquelle mener contre une menace aussi mystérieuse que celle qui plane sur la ville. Et au milieu de son inquiétude, un éclat de rire spontané lui échappe.

« Tu t'es rendu compte que c'était une mauvaise idée avant ou après avoir réalisé qu'à priori, un poisson des profondeurs est fait... pour les profondeurs ? » le taquine-t-elle, très gentiment. Ils ont bien besoin de faire redescendre un peu la pression. Elle en a besoin, elle, en tout cas. « Mais ce n'est pas une mauvaise idée. Il faudrait des intermédiaires, ça prendra plus de temps. » Ses sourcils se froncent légèrement, alors qu'elle réfléchit rapidement.

« Comme une sorte de téléphone arabe. Si l'information peut parvenir jusqu'à des animaux vivant dans les profondeurs, puis revenir jusqu'à moi... » C'est à son tour de se rendre compte de la stupidité d'un tel plan. Ça pourrait prendre des jours, si ce n'est des semaines, avant qu'un poisson ne puisse lui transmettre l'information. Et ils ne peuvent pas se payer le luxe d'attendre autant de temps. « Laisse tomber... Ce plan ne tient pas la route non plus. Ça prendrait trop de temps, pour un résultat probablement très approximatif. Les informations se perdraient probablement en chemin... »

Oui, la solution serait une hybride nymphe/sirène ; autant dire qu'ils pourraient passer des mois entiers avant de tomber sur une telle hybridation. Alice exclut cette idée presque immédiatement, se remettant au travail pour finaliser le baume qu'elle glisse avec précaution dans un petit sac. La préparation de l'infusion, elle, ne lui prend que quelques secondes, avant qu'elle ne la mette également en sachet.

« Il faut aller chez Mr Anderson. Il habite à deux rues d'ici... On doit tenter. Je ne supporterai pas... » Sa voix s'éteint alors que le nœud dans sa gorge se resserre encore un peu plus. Il lui faut une profonde inspiration pour parvenir à poursuivre ; « Je ne veux pas perdre un innocent. Je ne le supporterai pas... surtout en ce moment. » Parce que même si elle donne le change, elle ne va pas bien. Et un tel échec lui serait insupportable, plus encore qu'habituellement. « Prends l'urne. Au cas où. Je ne pense pas qu'on aura beaucoup de temps pour agir et se décider, autant se tenir prêts à faire face à tous les scénarios. »

Et, se rendant compte de ce qu'elle lui demande après ce qu'il vient de vivre aujourd'hui même, elle s'arrête dans son geste alors qu'elle prend déjà son manteau. « Est-ce que ça ira ? Je peux y aller seule, si tu préfères. » Même s'il est évident qu'elle préférerait l'avoir à ses côtés, elle ne peut pas lui imposer de revivre ce qu'il a vécu le matin même.

Elle n'est pas complètement à l'aise avec l'idée de devoir séparer le corps et l'âme de Mr Anderson. Mais elle est consciente que les options sont limitées, le temps plus que compté... et que c'est peut-être la seule solution viable à l'heure actuelle pour éviter à un innocent de succomber à ce mal qui se propage comme une funeste maladie. La demi-nymphe ne peut s'empêcher de déglutir, néanmoins, tandis qu'elle se contente d'acquiescer en terminant ses préparations.

Dans ce genre de situation, pouvoir continuer à rire est primordial et le faux débat sur les poissons des profondeurs vient alléger un peu le poids qui comprime la poitrine d'Alice. Certes, l'idée n'est pas totalement aboutie et il ne lui vient même pas à l'esprit de pouvoir se changer elle-même en sirène – ce qui est de loin la solution la plus simple pour aller interroger des poissons des profondeurs – mais elle a au moins le mérite de lui faire oublier quelques secondes l'urgence de la situation. Elle remercie le triton du regard, même si la situation vient s'imposer de nouveau à son esprit. Mr Anderson, le temps qui continue sa course... Il faut agir. Rapidement. Ses problèmes personnels peuvent d'ailleurs attendre, quant à eux.

Du moins, c'est ce qu'elle se dit avant de croiser le regard de Nathaniel. Ce regard qui semble lui dire qu'il ne lâchera pas le morceau. « C'est juste... J'ai juste l'impression que tout échappe à mon contrôle, en ce moment. Et je déteste cette sensation. » confie-t-elle, sans entrer dans les détails. Parce qu'il y a des choses bien plus importantes que son état émotionnel et cette impression d'échec qui semble se refermer sur elle comme un piège. « Ce n'est rien, vraiment. Un passage un peu compliqué. Mais ça passera. » tente-t-elle de le rassurer, avant de s'assurer qu'il est prêt à l'accompagner. Et ils quittent ensemble la boutique, qu'Alice prenant grand soin de refermer derrière elle. C'est toute sa vie qui se trouve derrière les baies vitrées du Vilice. Un projet qu'elle a porté, fait grandir, dont elle s'occupe comme de son propre enfant. L'une des choses immuable de son existence, dont la stabilité la rassure.

Elle s'accroche au bras de Nathaniel, non sans laisser sa main s'échapper de l'abri imperméable. Le contact de l'eau contre sa peau lui a toujours plu, a toujours su éveiller cette âme d'enfant qu'elle n'a jamais vraiment perdu. Elle s'échappe d'ailleurs du parapluie pour rejoindre le pas de la porte de l'immeuble, s'apprêtant à sonner à l'interphone avant que Nathaniel ne la coupe dans son élan.

« Hein ? » L'interjection est accompagnée du reste de son corps, ce dernier se tournant entièrement vers le triton. « Tu veux m'emmener sous l'océan ? Pour de vrai ? » demande-t-elle, sans réussir à ravaler le sourire qui vient prendre de plus en plus de place sur son visage, lui donnant l'air radieux des jours de bonheur. « C'est une idée brillante... La solution la plus simple... J'aurais dû y penser ! » Au regard des circonstances, elle se retient de se montrer trop enjouée, mettant un point d'honneur à ne pas perdre de vue qu'il ne s'agit pas d'une petite balade touristique. C'est loin d'être le cas. « Va pour l'Atlantide, mais d'abord... » Elle ponctue sa phrase en pressant le bouton de l'interphone.

À l'autre bout, Mrs Anderson la ramène sur Terre, brutalement. Elle a une voix tremblante, fatiguée. Alice la soupçonne d'avoir pleuré quelques secondes avant d'avoir répondu. « C'est Alice. Je viens voir Mr Anderson... » La demi-nymphe déglutit, hésite un peu avant de pousser la porte du hall de l'immeuble. Elle sent la peur lui monter dans la gorge. La peur de découvrir Mr Anderson dans un état auquel elle n'est pas préparée. Elle n'est même plus capable de parler alors qu'elle conduit Nathaniel jusqu'au deuxième étage. Ses mains tremblent lorsqu'elle toque à la porte de l'appartement. Et Mrs Anderson semble avoir vieilli de dix ans tant ses traits sont tirés. La demi-nymphe la laisse fondre en larmes dans ses bras, sans la brusquer, la serrant contre elle en se sentant presque elle-même sur le point de pleurer.

« Il... il est dans la chambre... Le médecin n'a pas su dire ce qu'il avait... Et je... » La pauvre femme ne parvient pas à terminer sa phrase et Alice se contente de poser une main sur sa joue. Elle n'arrive pas à trouver les mots pour la rassurer. Elle n'est pas sûre que ces mots puissent seulement exister, finalement. Et Mrs Anderson ne fait qu'à peine attention à Nathaniel, trop bouleversée sans doute, lorsqu'elle les laisse entrer, les guidant jusqu'à la porte de la chambre dans laquelle elle refuse d'entrer.

Et, en voyant l'homme en proie à une crise, c'est au tour d'Alice d'être bouleversée. Ses yeux bruns s'écarquillent tandis que son palpitant s'accélère. La souffrance que l'homme semble vivre est palpable, visible. Insupportable. Il a les traits plus creusés encore que ceux de sa femme, le teint blafard, la peau abimée par endroit - là où il semble avoir gratté de toutes ses forces en laissant des sillons à vif sur sa peau pâle. Et, lorsqu'il ouvre les yeux, ce n'est pour poser sur eux qu'un regard vide alors qu'il parle sans discontinuer pour dire des mots presque inintelligibles. La demi-nymphe sent sa gorge se contracter, brutalement. Prise entre l'envie de vomir et celle d'éclater en sanglots, elle ignore comment elle trouve la force de venir s'asseoir sur le lit. « Matthew... Matthew, c'est moi, Alice. » risque-t-elle, avant d'échanger un regard avec Nathaniel alors que l'homme ne semble même pas l'entendre.

La demi-nymphe inspire profondément, essayant de se ressaisir. Ses mains tremblent lorsqu'elle sort ses préparations. Et elle renifle, luttant contre ses propres larmes, se maudissant pour cette fragilité émotionnelle qu'elle n'arrive pas à canaliser à cet instant. Elle connait Mr Anderson depuis trop longtemps pour rester de marbre.

« Tu peux rester avec lui le temps que j'aille chauffer de l'eau pour l'infusion ? » Sa voix n'est plus qu'un mince filet tandis qu'elle se lève machinalement. Elle a besoin de sortir de cette chambre. Elle est incapable de le voir dans cet état. Incapable de le voir souffrir de cette façon. Pourtant, elle parvient à sourire à Mrs Anderson lorsqu'elle sort de la pièce, à prendre sur elle pour ne pas ajouter son inquiétude à la panique de la femme. Elles n'échangent pas un mot alors que la bouilloire fini par siffler. Et, lorsqu'elle revient dans la chambre, Alice espère assister à un miracle sans pour autant oser regarder à nouveau Mr Anderson pendant de longues secondes.

« Il faut l'aider à s'asseoir... » souffle-t-elle, en revenant finalement près de l'homme. « Tu crois qu'il est déjà trop tard ? » La question lui serre brutalement la gorge. Peut-être ont-ils mis trop de temps, qu'elle n'arrive pas à s'empêcher de penser tandis qu'elle parvient à aider Mr Anderson à boire une minuscule gorgée du breuvage médicinal.

Si elle avait eu un petit sourire quand il lui avait dit que ce n'était pas du tourisme, celui-ci s'était vite éteint. Comme leurs pas, la pression monte à mesure qu'ils avalent les marches, la demi-nymphe serrant la main du triton comme si c'était la seule chose qui puisse encore lui permettre de tenir sur ses jambes. Soigner a toujours été son domaine, bien plus que le combat, bien plus que les pouvoirs offensifs... Mais face à la souffrance de Mr Anderson, face au cauchemar dans lequel il semble être plongé, elle se sent simplement démunie. Inutile. La pensée, affreuse, qu'aucune plante ni aucun breuvage ne pourraient régler quoi que ce soit à la situation la secoue brutalement. Face à l'homme, elle se dit qu'elle le perdra. Qu'elle ne peut rien faire pour lui. La pensée est insupportable, lui noue la gorge.

Et tandis que Nathaniel le maintient dans une position assise, elle décide de ne pas baisser les bras si facilement. Mais l'émergence soudaine de Matthew Anderson dans un hurlement qui résonne en elle, dans toute sa souffrance, manque de lui faire lâcher le bol. Alice se fige quelques secondes. Elle sent à peine les larmes qui coulent le long de ses joues. Elle a toujours été émotive. Toujours été particulièrement impactée par la souffrance d'autrui. Et elle renifle en acquiesçant aux mots de Nathaniel, tentant de maîtriser ses propres tremblements pour lui admistrer le reste de l'infusion, finissant par poser le bol juste à côté de l'urne. Elle a l'impression que le temps s'arrête littéralement avant que Nathaniel ne lui confirme que Mr Anderson respire toujours.

Alice se recule pour aller s'adosser à l'un des murs de la pièce, inspirant profondément pour tenter de reprendre ses esprits. « L'effet sera éphémère... On le sait, non ? Je ne pensais pas... que ce serait si violent. » fini-t-elle par articuler, alors qu'elle accepte enfin de regarder la réalité en face, son regard s'accrochant à l'urne.

« Les plantes soignent les symptômes physiques, l'infusion va le maintenir en vie encore quelques heures. Ça le calmera, sa respiration va s'apaiser, la douleur va disparaître... Ce sont les seules certitudes qu'on peut avoir. Mais l'issue... On est en train de le regarder mourir, Nate. » Les mots lui écorchent la gorge et elle échappe un léger sanglot tout en croisant ses bras pour les serrer contre elle. Elle voudrait croire son éternel optimisme qui essaie de lui hurler que ça ira, qu'une solution existe. Croire que la situation ne va pas se détériorer, que l'infusion fera effet. Mais quelque chose en elle refuse d'y croire, refuse cette fois de se bercer d'illusions alors que la vie d'un homme dépend de leur prochaine décision. Alice ne se montre presque jamais pessimiste, toujours drapée dans un idéal qu'elle cherche à tout prix à rendre réel... mais cette fois, cet idéal ne sera pas suffisant.

Même si Mr Anderson semble effectivement se calmer. Elle voit ses doigts se décrisper, même si sa bouche reste ouverte dans un cri qu'il semble le seul à entendre. Elle revient vers le lit pour venir prendre sa main, pour poser l'autre sur son front. Il est toujours aussi froid. Froid comme seul un mourant peut l'être.

Elle renifle encore, vient écraser ses larmes du bout des doigts pour tenter de reprendre le contrôle sur ses émotions. Elle déteste à cet instant sa propre fragilité et sa propre empathie. « Il se calme. » dit-elle, tout en remontant les couvertures sur lui avant de se relever. « Je parlerai à tous les poissons des mers s'il le faut, mais je ne laisserai pas d'autres innocents souffrir comme lui. » Son éternelle insouciance se fane sous son instinct de protection, faisant éclore une détermination que seules les urgences peuvent faire naître. À cet instant, il ne fait aucun doute que le sang d'une sorcière coule aussi sûrement dans ses veines que celui des nymphes...

Elle saisit l'urne avec précaution tout en regardant le visage de Mr Anderson se tordre sous des douleurs qu'elle ne peut même pas imaginer, avant de dévier son regard sur Nathaniel.

« Comment tu te sens, Nate ? » finit-elle par demander, soucieuse. Consciente de ce qu'elle lui fait vivre à l'avoir embarquée avec elle dans cette mission de sauvetage. « Je peux m'occuper de la suite, si tu veux... » La suite est plutôt claire ; ils n'ont pas le temps d'attendre de voir si l'infusion pourra le maintenir en vie plus que quelques heures. Ils ne peuvent pas perdre ce temps précieux, car il ne s'agit plus que de Mr Anderson désormais. Maintenant qu'elle a vu ce que ce mal pouvait causer comme dégâts, elle ne peut plus ignorer le danger qui plane au-dessus d'eux. Elle n'aime toujours pas l'idée d'enfermer l'âme du mortel dans l'objet qu'elle tient entre ses doigts. Mais elle aime encore moins l'idée qu'il meurt parce qu'elle n'aura pas eu le courage de le faire.

Et elle adresse un sourire triste au triton. « Je suis désolée de t'avoir fait revivre... ça. » s'excuse-t-elle en sentant sa gorge se serrer à nouveau. Elle n'aurait jamais pu faire ça, sans lui. Mais elle s'en veut de l'avoir forcé à assister à tout ça. « Je vais... Je vais prendre l'option de l'urne. Tant qu'il est calme. Il n'a pas besoin non plus de revivre toute cette souffrance tant qu'on n'en sait pas plus. » dit-elle avant d'inspirer profondément.

Il faudra mettre cette urne en lieu sûr. La protéger pour ne pas risquer de voir l'âme de l'homme disparaître à jamais. Mais, finalement, Alice se dit que c'est un mal pour un bien. La seule solution dont ils peuvent être sûrs à cet instant. La seule chose qu'elle puisse réellement faire pour ne pas perdre cet innocent.