alice ∆ rabbit hole

L'histoire de sa naissance est peu banale. C'est avant tout l'histoire d'un amour, d'une rencontre, d'une danse éphémère entre Francesco et Amalia. Probablement la plus belle des histoires de l'homme, la plus magique, qui lui a offert la plus belle des fleurs de ce monde.

Francesco a toujours aimé le calme de la nature, d'aussi loin qu'il puisse s'en souvenir, probablement à cause de ce pouvoir de géokinésie qui l'a toujours relié à la terre. Il a fini par en faire son métier, devenant jardinier paysagiste pour le compte de la ville. Une existence simple, pour un homme tout aussi simple. Jusqu'à cette rencontre. Magique ; c'est bien le mot. Une nymphe, blessée, éloignée de sa source d'eau sacrée. Aux yeux de Francesco, une innocente qu'il fallait protéger. Et il l'a protégée, ramenée à son groupe, à cette source si précieuse pour elle, avec la boule au ventre. Il en est tombé amoureux aux premiers mots échangés, sans réaliser que les sentiments étaient réciproques, sans se douter un seul instant qu'une créature comme une nymphe pouvait l'aimer en retour. Mais elle l'a aimé. Pendant des années, avant d'oser revenir dans la ville, avec l'espoir de le retrouver, s'éloignant de sa nature, de son groupe, bravant les interdits du satyre qui veillait sur elle. L'histoire fut brève mais intense. Une histoire d'amour comme peu de gens en vivent dans une vie. Jusqu'à ce qu'Amalia ne commence à faner, sans savoir qu'elle portait pourtant en elle le fruit de cet amour. C'est Francesco qui a insisté pour la ramener auprès des siens, incapable de la voir souffrir, sachant ce qui attendait Amalia si elle s'obstinait à rester avec lui. Il voulait rester, quitter la ville, vivre avec elle. Mais le groupe ne l'a pas accepté, considérant qu'un sorcier n'avait rien à faire près de la source d'eau sacrée.

Ce fut déchirant, mais il a comprit. Accepté.
Sans se douter une seule seconde du cadeau qui l'attendrait sur le seuil de sa porte, six mois plus tard. Ce bébé de trois mois, laissé là, entouré de fleurs et de feuilles.

Francesco a su tout de suite. Alice a toujours eu le regard de sa mère. Sa douceur, aussi. Amalia n'est jamais revenue. Il a tenté de la retrouver, mais il a découvert avec horreur que la source qu'elle protégeait avait été pillée, ravagée, saccagée. Il n'a jamais plus ressenti pareille fureur qu'en découvrant ce lieu si paisible détruit. Le cœur détruit de ne pouvoir qu'imaginer ce qui était arrivé à Amalia et aux autres nymphes.

Il a joué son rôle de père, avec une patience pour lequel Alice continue de le remercier chaque jour. Ils sont extrêmement proches, rarement éloignés trop longtemps l'un de l'autre. Il a eu peur, pour elle. Peur de la voir se faner, comme sa mère avant elle. Peur que le monde soit trop dangereux pour elle. Mais l'hybridation, ce côté sorcière qu'elle possédait, était aussi présent, la protégeant autant que le faisait son père. Ils ont déménagé, dans une petite maison avec ce grand jardin laissé en friche dans lequel Alice a toujours aimé passer du temps. Proche de cette nature dans laquelle elle aimait passer du temps. Et puis, les premiers animaux ont été adoptés très rapidement, à la demande d'Alice.

Elle a passé son enfance entourée d'animaux, de plantes et de moments passés avec son père en pleine nature. Il ne lui a jamais caché ses origines. Francesco a toujours pris soin de lui parler de sa mère, des points communs qu'elles ont toujours eu. D'une certaine façon, Alice a eu le sentiment de la connaître, à travers les souvenirs de son père. Même si elle a souffert de ne jamais l'avoir rencontrée, de ne pas avoir pu lui poser des questions quant à sa propre nature de nymphe, sur les choses qu'elle ressentait, sur ce lien qui l'unissait à la nature. Pour combler ce manque, Alice a embrassé son rôle de sorcière dès qu'elle l'a pu, se jurant de protéger le bien avec le même acharnement qu'une nymphe protégeant sa source.

Alice a fini par grandir, aller à l'école, rencontrer de nouvelles personnes. Avec ce besoin viscéral de faire partie d'un groupe, d'être près de personnes lui ressemblant. Ça a été un déchirement pour elle lorsque son père, alerté par la communauté magique et la montée en flèche des forces maléfiques après la mort des sœurs Halliwell, a décidé de quitter les États-Unis pour se réfugier dans sa famille en Colombie. Alice avait alors 15 ans. Le choc a été rude, le déracinement violent et l'adolescente a eu du mal à se faire à cette nouvelle vie. Mais elle a fini par s'y faire, par se recréer un monde, un entourage. Pourtant, elle a toujours senti que son cœur était resté à San Francisco et elle s'était promis d'y retourner lorsqu'elle en aurait l'occasion.

L'occasion s'est présentée en 2018, lorsque son père a accepté de revenir aux États-Unis. Jamais Alice n'avait été aussi heureuse ; retrouver les amis qu'elle n'avait jamais oublié, la maison et son jardin, la ville dans laquelle elle a grandit.

C'est un an après, alors qu'elle a troqué ses études vétérinaires contre l'étude de l'herboristerie, qu'elle a rencontré Victoria. Toute aussi passionnée qu'Alice, les deux femmes s'entendent rapidement très bien. Alice fera le premier pas en embrassant la jeune femme dans l'arrière boutique où elles faisaient leur apprentissage, alors âgée de 26 ans. Le début d'une histoire que la brune pensait éternelle ; Alice lui a avoué au bout de quelques mois sa véritable nature. Et si Victoria a eu besoin de temps pour le croire et l'accepter, l'amour semblait plus fort que le reste. Elles se sont rapidement installées ensemble, dans une petite maison proche de la nature, dans laquelle elles se sentaient bien. Elles ont adopté Ferius, un magnifique chien-loup, puis n'ont cessé d'adopter des animaux, de toutes sortes, pour égayer une maison où les plantes ont toujours eu une place de choix. Elles se sont mariées en 2021 et Alice n'aurait jamais pensé qu'elles divorceraient trois ans plus tard.

L'année de leur mariage, Victoria et elle ont acheté une petite boutique délabrée dans une ruelle étroite du centre-ville de San Francisco. Une véritable aubaine, à leurs yeux. Elles ont passé des mois à retaper le petit local, jusqu'à l'ouverture de Vilice, en 2022 ; la contraction de leurs prénoms pour nommer ce projet qu'elles considèrent comme une partie d'elles-mêmes. Une petite herboristerie, attirant rapidement les sorciers de San Francisco à la recherche d'ingrédients divers.

Alice n'a jamais réellement compris les raisons qui ont poussé Victoria à rompre. La lassitude du quotidien, lui a-t-elle dit. Le besoin de prendre de la distance, à force de vivre et de travailler ensemble. Et la magie. La magie, que Victoria a fini par ne plus supporter. La crainte de voir leur vie réduite en cendres à cause d'un démon quelconque. Vivre dans la crainte a été le véritable déclencheur de cette décision, malgré toutes les excuses trouvées. Et, par amour, Alice a accepté un divorce à l'amiable.

Aujourd'hui, les deux femmes continuent de travailler ensemble, Vilice restant un projet qui leur tient à cœur. Elles entretiennent des rapports amicaux, biaisés par les sentiments qu'Alice éprouve toujours à l'égard de son ex-conjointe.

Et elle apprend, doucement, à vivre sans elle. Elle a gardé la jolie petite maison, un peu éloignée de la ville. Elle a gardé Ferius, aussi, et quelques uns des chats adoptés avec Victoria. Elle a vu certains meubles disparaître avec le départ de son ex-femme. Et elle tente de se réapproprier la maison, malgré les souvenirs, malgré l'incompréhension. Elle apprend à accepter ce célibat qu'elle n'a pas choisi, se plonge de toute son âme dans son travail et dans la protection des innocents pour ne plus se laisser le temps de penser. Elle sort, beaucoup. Tente de rencontrer du monde, d'oublier tout ce qu'elle doit reconstruire.

C'est un nouveau chapitre à écrire.
Une page que l'on tourne.
Et, finalement, une vie entière qui reste encore à tracer.

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